lundi 25 novembre 2013

L'ordre dans le chaos - Les fractales

Le terme "fractales" est un néologisme inventé par Benoit Mandelbrot en 1974. Il désigne des objets dont la structure est invariante d'échelle et dont la définition est récursive.

C'est en constatant des différences entre l'estimation de la longueur de la frontière Espagne-Portugal que Benoit Mandelbrot a découvert les fractales. Chaque pays avait sa propre estimation officielle de cette longueur qui n'était pas la même, chacune semblait pourtant réaliste.

Ce même paradoxe peut s'appliquer à la mesure de la longueur des côtes maritimes et en voici une explication:
Si vous prenez google map (vue satellite) et que vous mesurez la côte maritime du Portugal, vous obtiendrez une longueur donnée.
Mais si vous augmentez le zoom, il vous faudra prendre en compte les détails de la côte que vous n'aviez pas vu, ce qui augmentera la longueur obtenue.
Si vous augmentez encore le zoom, il vous faudra prendre en compte les anfractuosités de la côte, puis celle des rochers. Vous obtiendrez ainsi une longueur de plus en plus grande.
En zoomant avec un microscope, il vous faudra prendre en compte les anfractuosités des cailloux, des grains de sable, des poussières, des molécules, puis des atomes..., ce qui augmentera encore la longueur obtenue.
On peut modéliser ce genre de structure au moyen d'une courbe fractale très connue appelée Flocon de Koch.
Cette fractale est une courbe de longueur infinie (la longueur augmente de 1/3 à chaque itération) qui se loge dans une surface de dimension finie (une disque dont le diamètre est le segment initial).
Elle est invariante d'échelle (quel que soit le niveau de zoom, on retrouve une fractale de Koch) et elle est récursive (dans chaque sous partie de cette fractale se trouve la même fractale)

Etant donné que ce n'est pas une surface à 2 dimensions mais que c'est un peu plus qu'une courbe mono-dimensionnelle puisqu'elle recouvre de manière itérative une portion quasi infinie de la surface, Benoit Mandelbrot eu l'idée d'inventer une dimension fractionnaire (non entière) qu'il appela fractale. Suivant cette méthode, la dimension fractale de la courbe de Koch est d'environ 1.26.
Entre la 1D et la 2D, on trouve donc la 1.26D. Une autre fractale d'une dimension fractionnaire supérieure à 1 et inférieure à 2 est le Tapis de Sierpiński.
On trouve de même des surfaces dont la dimension se situe entre la 2D et la 3D  (voir l'Éponge de Menger)

Les fractales sont des objets mathématiques révolutionnaires puisqu'ils ont permis de modéliser mathématiquement une grande quantité d'objets du monde physique dont on pensait qu'ils seraient à jamais inaccessibles à la géométrie classique faite de courbes, de volumes et de surfaces idéales (comme les cercles, les sphères, les carrés ou les triangles) et donna un nouvel essor à la topologie. Ainsi une fractale peut modéliser des objets naturels comme une côte maritime, un flocon de neige (Flocon de Koch), un chou romanesco ou une fougère. Les images fractales inspirèrent également les artistes dans les années 80 (voir de magnifiques images ici)

Le réseau sanguin du corps humain forme lui-même un réseau fractal d'une ingéniosité délirante, puisque chaque cellule du corps humain n'est jamais éloignée de plus de 3 ou 4 cellules d'un vaisseau sanguin.
Il forme ainsi un réseau fractal qui remplit presque l'ensemble d'un corps humain (3D) avec un réseau de surfaces (2D) qui occupe moins de 5% du volume du corps !
Sa dimension fractale est donc située entre 2 et 3 (comme l'éponge de Menger).

Le physicien Erwin Schroedinger s'étonnait à propos des objets naturels qu'il faille une quantité de logique infinie pour spécifier 1 cm3 de matière. Mais si l'ADN d'un humain est trop petit pour spécifier l'intégralité du développement d'un corps humain, il pourrait, comme la fractale Koch, spécifier des règles d'itérations qui permettent ce développement (comme pour le chou romanesco) car les fractales permettent d'engendrer d'infinies différences à partir d'une même structure mais de conditions initiales légèrement différentes.

Sources:
La théorie du chaos - James Gleick
Entre le temps et l'éternité - Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

14 commentaires:

  1. En un mot comme en 1.26 mots, la longueur de la cote dépend de la résolution de la carte. C'est ça ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui c'est ça! C'est une sorte de théorie de la relativité qui dépend de l'échelle à laquelle se trouve l'observateur.

      Supprimer
  2. C'est quoi la dimension >3 ? Koch à trouvé 1.26, mais chaque spécialiste peut trouver sa propre dimension? C'est ça le chaos ?_

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. non ça n'est pas chaotique en tant que tel. On peut, oui, trouver la "bonne" dimension pour décrire une forme. C'est la dimension qui permet de retrouver l'invariance d'échelle. Donc on ne l'"invente" pas, c'est la dimension qui permet de voir une forme "différemment"

      Supprimer
    2. @AndréMichel: Non ce n'est pas Koch qui a trouvé 1.26, c'est Hausdorff. En effet, Minkowski aurait sûrement trouvé une autre valeur puisque ce ne sont que des méthodes d'approximation de la dimension.
      En effet, tu as raison, c'est un peu le chaos :-)

      Supprimer
  3. Effectivement, la "dimension" fractale pourrait expliquer (pour les alvéoles pulmonaires ou encore le réseau sanguin) pourquoi on peut avoir une ontogénèse si complexe à partir d'une donnée à la base limitée. Encore que Schrödinger n'avait pas accès au codage ADN (même s'il en avait l'intuition). Le système à 4 bases (ADN) + 20 acides aminés (ARN) permet quand un nombre de combinaison démentiellement grand. Sachant qu'on n'a pas encore bien "trié" ce qui est précisément responsable de l'ontogénèse et celui de l'expression de certains caractères (via la synthèse plus ou moins abondante de certaines protéines). Il y a aussi dans le développement l'influence du milieu extérieur. Chaque input de l'extérieur (voire du milieu intérieur) lors du développement est susceptible de faire varier (un peu) le développement du réseau sanguin, des poumons et encore plus du cerveau. C'est là aussi un facteur majeur de création de variété et de complexité à partir d'une information ADN "finie"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ou pourquoi les membres d'une espèce sont tous similaires, c'est à dire identiques et pourtant si légèrement différents... :-)

      Supprimer
  4. D'après Stan Lee, en injectant de l'ADN de grenouille puis en bombardant de rayons Gamma cela décuple encore plus les combinaisons.

    RépondreSupprimer
  5. Les fractales qui ont été déterminées se situent entre 0 et 3. Sommes nous limités sur terre par la représentation en 3D et ne peut-on pas concevoir des fractales supérieures à 3 ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les dimensions des objets fractals les plus populaires sont inférieures à 3 car en effet, ce sont des objets de notre espace usuel euclidien à 3 dimensions. Cependant, d'un point de vue purement mathématique, rien n'empêche de mesurer des dimensions fractales dans des espaces de dimensions supérieures à 3.
      En topologie, du moment qu'il s'agit d'un espace métrique (c'est à dire d'un espace topologique dans lequel la notion de distance entre 2 points est définie), on peut définir une dimension de Hausdorff ou de Minkowski, qui sont des méthodes d'approximation de dimension fractale par recouvrement de l'espace topologique (pavage).
      Le concept d'espace-temps de Einstein par exemple, est un espace métrique à 4 dimensions car il est possible de définir une distance entre 2 points de l'espace temps.
      Cependant, ce qui a fasciné et rendu populaire les fractales, c'est justement la possibilité de modéliser des comportements complexes et de se représenter leur évolution dans un espace "usuel" intelligible.
      En passant à des dimensions supérieures à 3, on repasse dans des mathématiques abstraites et on perd un peu de ce bénéfice...

      Supprimer
  6. Cécile, c'est quoi une ontogénèse ?

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.