mercredi 4 décembre 2013

Entre le temps et l'éternité - Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

D'après Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, le comportement apparemment régulier, réversible et déterministe de la dynamique classique (Newtonienne) qui était jusqu'alors le modèle dominant de compréhension de la nature n'était qu'un mirage qui conduisit à croire que tous les nuages étaient des horloges et qu'il n'était qu'une question de temps d'ici à ce que la science découvre le fonctionnement déterministe et réversible de tous les objets du monde naturel.
L'irréversibilité entropique étant alors perçue comme liée soit à une corruption du mode de compréhension de la nature par le cerveau humain (la nécessité d'un raisonnement en cause-conséquence), soit, au mieux, comme une approximation des lois de la nature.

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers défendent la thèse exactement inverse: l'apparente régularité et le déterminisme ne serait qu'une approximation du chaos fondamental qui règne dans la nature.

Un système est dit "chaotique" lorsque 2 points aussi voisins que l'on veut dans l'espace des phases divergent exponentiellement avec le temps. On peut définir un temps (appelé temps de Lyapounov) qui constitue l'horizon temporel du système: Lorsque le temps est inférieur au temps de Lyapounov, 2 points voisins de l'espace des phases restent voisins et le système reste prévisible et déterministe. Mais au-delà de ce temps, l'évolution du système devient totalement imprévisible.

Ainsi, il est impossible de calculer l'évolution du climat au-delà d'un mois, ce qui constitue le temps de Lyapounov du climat. Pour augmenter un peu la prévision, il faudrait une précision exponentielle dans la mesure des paramètres initiaux.
Mais ce qui ne ressemble qu'à un problème de mesure est bien plus fondamental:
En réalité, il faudrait une précision infinie pour prévoir de manière déterministe, car entre 2 points de mesure, on peut toujours ajouter une décimale supplémentaire et ceci de manière infinie. Le déterminisme conduit donc à une singularité mathématique: un point de précision infinie, donc mathématiquement inatteignable.

Même le système solaire, qui est un système extrêmement faiblement dissipatif, à un horizon de stabilité temporelle (estimé à environ 200 millions d'années, ce qui conduit à pouvoir prédire son évolution de manière approximativement déterministe pendant 200 millions d'années)...

Le miracle de la théorie du chaos ne vient donc pas du fait que le climat terrestre soit un système chaotique (ça tout le monde a pu le constater) mais plutôt que ce chaos puisse éventuellement être un chaos déterministe régi par un attracteur fractal à 4 variables seulement.

Quant à l'irréversibilité, la théorie statistique de Botzmann, n'avait fait de la croissance de l'entropie qu'une apparence macroscopique d'un comportement microscopique déterministe (voir ici pages 10 et fin page 9 une excellente explication imagée de cette théorie) suite à l'objection de Josef Loschmidt concernant la réversibilité des vitesses de particules (voir paradoxe de Loschmidt):
Joseph Loschmidt fit remarquer qu'en inversant toutes les vitesses des particules, l'entropie pourrait décroître et qu'elle ne décroît réellement que de manière statistique tandis que les lois microscopiques restent déterministes et réversibles. (On pourrait dire qu'un petit démon de Loschmidt qui inverserait toutes les vitesses des particules ferait décroître l'entropie).
Ainsi, d'après la définition de Boltzmann, la réalité physique serait déterministe tandis que l'indéterminisme ne serait qu'une illusion macroscopique liée aux lois de probabilités.

Cet argument sérieux renvoie donc l'entropie à une illusion macroscopique et renverrait une fois de plus l'irréversibilité physique (et donc la flèche du temps) à la simple incapacité humaine à agir comme le démon de Loschmidt.

Mais l'expérience d'Alain Aspect, en réfutant le paradoxe EPR et en démontrant  la réalité de l'intrication quantique, c'est à dire des corrélations à longue portée entre les particules après un choc prouve en même temps que la réversibilité n'existe pas et démontre que la flèche du temps existe au niveau microscopique.

En effet, quand bien même le démon renverserait les vitesses des particules, celles-ci resteront intriquées et donc liées par leur choc passé. Inverser leur vitesse conduirait alors à un choc nouveau.
L'intrication quantique serait donc responsable de la croissance de l'entropie.

2 commentaires:

  1. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec le paradoxe EPR et l'intrication quantique, vous trouverez une explication plus détaillée dans l'article qui suit...

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  2. "En effet, quand bien même le démon renverserait les vitesses des particules, celles-ci resteront intriquées et donc liées par leur choc passé. Inverser leur vitesse conduirait alors à un choc nouveau.
    L'intrication quantique serait donc responsable de la croissance de l'entropie."

    C'est ce que j'appelle "la nostalgie unitaire".

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