Dans celle ci-contre, vous voyez soit une vieille dame, soit une jeune femme.
Dans la deuxième (ici), soit vous voyez la danseuse tourner dans le sens des aiguilles d'une montre, soit en sens inverse (les deux sont possibles).
Vous constaterez que très rapidement, votre cerveau tend à ne plus voir que l'une ou l'autre des possibilités.
La plupart du temps, la seconde possibilité a été rejetée sans même que vous en ayez conscience.
Ce type d'illusion est appelée illusion "bistable".
Il est très difficile (voir quasiment impossible) d'avoir les deux possibilités en même temps à l'esprit et, s'il est possible de changer de point de vue, c'est au prix d'un effort cognitif important.
Ce qui sera le sujet de cet article, c'est qu'une fois un des deux points de vue adopté (même inconsciemment), il est difficile d'en changer: ce point de vue devient "collant".
Tout se passe comme si notre cerveau, cet amas de cellules chaotiques, subissait une transformation irréversible et atteignait une sorte d'équilibre entropique, ou subissait un verrouillage de fréquence dont il lui est difficile de se détacher.
Dans "Système 1/Système 2", Kahneman décrit l'expérience qui permit de mettre en évidence un bug de notre cerveau: le biais d'ancrage.
Des sujets font tourner une roue de la fortune. Après avoir regardé le nombre sur lequel la roue s'arrêtait, nombre dont ils savent qu'il est aléatoire, les sujets doivent répondre à la question "Quel est le nombre de pays africains qui font partie des Nations Unies?"
Quand la roue s'arrête sur un chiffre peu élevé, les sujets répondent par un chiffre peu élevé. Et quand la roue s'arrête sur un chiffre plus important, les sujets répondent par un chiffre plus important, et ceci bien qu'ils savent que le chiffre indiqué par la roue n'a aucun rapport avec la question.
Ainsi, notre pensée est-elle influencée par les facteurs aléatoires de notre environnement.
Tout se passe comme si le chiffre indiqué par la roue préparait, "ancrait", "figeait", "verrouillait" notre cerveau dans un équilibre donné et qu'il nous est alors plus difficile d'en sortir.
On peut évidemment utiliser le biais d'ancrage pour manipuler autrui, notamment dans le domaine commercial: si vous n'avez pas idée du prix que vaut un objet, il me sera facile de vous "ancrer" sur un prix donné. Nombre de techniques de marchandage exploitent ce biais.
On pourrait penser, de prime abord, qu'il est facile d'y échapper en décidant à l'avance du prix qu'on serait prêt à payer pour un objet, mais en réalité, il suffit simplement d'avoir vu le prix affiché en même temps que l'objet pour succomber au biais.
J'ai évoqué dans l'article précédent le fait que les experts d'un domaine, ou les gens sûrs d'eux, ne sont, pas moins que d'autres, victimes des biais cognitifs.
Ainsi, une expérience d'évaluation de prix de maisons, menée sur des agents immobiliers, a montré que le facteur d'ancrage chez ces professionnels était presque le même que chez des étudiants d'école de commerce sans expérience dans l'immobilier (41% contre 48%), sauf que les étudiants reconnaissaient avoir été influencés par les prix de départ alors que les agents immobiliers revendiquaient fièrement leur capacité à ignorer ces prix. (1)
Si vous demandiez à des voyageurs dans un aéroport, en partance pour une destination lointaine, combien ils accepteraient de payer pour une assurance en cas de décès (quel qu'en soit la cause), ce montant sera inférieur au montant qu'ils vous accorderaient si vous leur proposez une assurance en cas de décès dans un attentat terroriste (et uniquement dans ce cas-là). Ce second cas est pourtant inclus dans le premier. (2)
La forme de la question "ancre" notre cerveau sur une image frappante (un attentat terroriste) et conduit notre cerveau à surestimer ce risque particulier.
Par exemple, la majorité des gens lisent des journaux de leur propre sensibilité politique.
Alors qu'un minimum d'ouverture d'esprit devrait nous inciter à lire des journaux de la sensibilité politique opposée. Cela nous conduirait peut être à une meilleure compréhension de l'autre.
Tout se passe comme si une idée, une croyance, fonctionnait comme un attracteur. Quitter cette attracteur, nous remettre en cause, va nous demander un effort conscient. C'est pourquoi il est si difficile de rester agnostique ou simplement ouvert à l'idée qu'on pourrait avoir tort et que les autres peuvent détenir une part de vérité. Mais cela demande de l'énergie: il faut savoir douter de ses propres idées...
En matière religieuse, les musulmans pensent qu'Allah est le plus grand, mais n'envisagent en aucune façon que Jésus soit le fils de dieu (et vice-versa). Les athées pensent qu'Allah et le Saint-Esprit sont de pures fadaises. Les agnostiques pensent que tout est possible, mais qu'il faut douter de tout.
Mais il y a pire, il n'y a pas que nos idées qui sont "collantes", nos décisions le sont aussi.
Les économistes prennent pour hypothèse que les êtres humains ont des comportements cohérents avec leur passé, leurs attitudes et leur personnalité, et que nous pouvons faire des prédictions sur la base de ces trois informations. Après tout, il n'y a pas qu'en matière spirituelle qu'on peut s'attacher à des croyances erronées: en matière économique aussi.
La psychologie expérimentale démontre clairement que "la validité des prédictions faites sur la base de ces trois type d'informations est assez proche de la validité de celles qu'on ferait si l'on ne savait rien" (3)
Mais la plupart des économistes ne lisent que des livres d'économie et considèrent la psychologie comme une science molle.
Dans "Petit traité de manipulation à l'égard des honnêtes gens", les psychologues Beauvois et Joules montrent comment nos comportements sont bien davantage déterminés par la situation, que celle-ci soit le fruit du hasard ou d'une manipulation.
Par exemple, si vous demandez une pièce de monnaie à quelqu'un dans la rue, vous avez 1 chance sur 10 de l'obtenir.
En 1972, M. B. Harris, un psychologue américain, montre que si vous demandez l'heure avant de demander une pièce de monnaie, vos probabilités d'obtenir cette pièce grimpe à 4 chances sur 10 (ceci quelle que soit l'histoire, la personnalité ou l'attitude préalable des personnes sollicitées).
Notez que si vous faites partie des personnes sollicitées, à moins d'être un rustre, vous ne pouvez pas répondre "non" à la première requête (donner l'heure). Ce premier "oui", vous est donc extorqué, mais semble ne vous engager à rien. Or, ce premier "oui" extorqué augmente de 400% les chances que vous répondiez "oui" librement, à la deuxième requête.
Ainsi, les commerciaux qui vous sollicitent par téléphone prennent-ils bien soin de vous poser une première question anodine à laquelle vous ne pouvez que répondre positivement.
Par exemple, "Bonjour, vous êtes bien Mme Tartempion?". Le fait de répondre "oui" à cette question vous semble anodin; Pourtant, cette première réponse positive augmente de 400% vos chances de répondre favorablement aux requêtes suivantes. En psychologie, ce phénomène est le fondement de la théorie de l'engagement.
Si certaines situations nous engagent à prendre certaines décisions, nous avons, en outre, tendance à persister dans nos décisions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Ce phénomène s'appelle l'effet de gel et démontre notre adhérence à nos décisions. En général, il est plutôt positif que les gens adhèrent à leur propres décisions, c'est le moins qu'on puisse attendre, me direz-vous.
Cela devient discutable lorsque ces décisions leurs sont extorquées par manipulation ou tout simplement lorsque ce sont de mauvaises décisions.
Autrement dit, soit les gens décident tout de suite de ne pas attendre, soit ils vont attendre de plus en plus, et s'entêter dans une décision de plus en plus absurde.
Pour la même raison, lors d'une crise boursière, les particuliers vont, en moyenne, perdre plus que les professionnels, car les professionnels ont fini par apprendre (et encore, pas tous, d'où la faible différence) qu'il faut savoir vendre et "prendre ses pertes", tandis que les particuliers s'entêtent en espérant un retour à la hausse.
Ces comportements sont une conséquence de l'effet de gel.
Au-delà de l'effet de gel, une expérience de B. M. Staw conduite en 1976 auprès des 240 étudiants d'une "business school" a montré que ces étudiants avaient tendance à adhérer, eux aussi, à leur décision initiale, même si tous les éléments indiquent qu'elle est mauvaise.
Dans cette expérience, on demandait aux étudiants de se mettre dans la peau d'un chef d'entreprise et d'investir dans l'une ou l'autre de deux filiales. On leur donnait un dossier sur chacune des filiales et ils faisaient leur choix.
Une fois cette première décision prise, on leur demandait d'imaginer que quelques années s'étaient écoulées : on leur donnait de nouveaux dossiers de l'état des filiales et on leur demandait de prendre une deuxième décision d'investissement. Les dossiers montraient clairement que l'état de la filiale dans laquelle ils avaient investi s'était détérioré tandis que l'autre s'était développée.
Curieusement, la plupart des étudiants persistèrent dans leur décision de doter la filiale qu'ils avaient dotée initialement.
Il est remarquable que lorsqu'on présentait ces mêmes dossiers à des étudiants n'ayant pas pris la décision initiale d'investissement, mais simplement en leur indiquant qu'elle avait été prise par quelqu'un d'autre (l'ancien directeur, mort accidentellement dans un accident d'avion), les étudiants prenaient alors une décision inverse, ne se sentant pas engagés par la décision initiale.
Ce phénomène, désormais connu de la psychologie expérimentale, porte le nom d'escalade d'engagement.
Pour cette raison, les conseils d'administration des grandes entreprises choisissent parfois de changer le directeur en cas de mauvais résultats, car même si le nouveau directeur n'est pas nécessairement meilleur, il ne se sent pas engagé par les décisions passées. (4)
Lors de la crise de 2009, le président Obama n'a pas osé changer certains des responsables de la crise, croyant qu'ils sauraient la gérer mieux que d'autres qui avaient moins de connaissances du système et des problèmes qui avaient conduit à la crise. C'était évidemment une erreur, car ce sont ceux qui connaissent le mieux le système qui s'y accrochent le plus et sont le moins prêt à le réformer. En effet, ces responsables ont continué à arroser de subventions le système qu'ils avaient créé, c'est à dire les banques, au lieu de venir en aide aux familles qui s'étaient endettées au point de ne plus pouvoir payer.
Il nous est difficile de revenir sur une décision: nous cherchons à maintenir une cohérence entre notre comportement et nos actes. Or, il s'agit souvent de rationalisation après coup.
Les sectes de tous poils sont expertes de ce genre de manipulation.
L'effet de halo est un autre biais cognitif qui montre que notre cerveau fait preuve de rémanence. Si vous aimez certaines qualités d'une personne ou d'une marque, il y a des chances pour que vous lui attribuiez également des qualités qu'elle n'a pas ou que vous n'avez pu observer. Si vous aimez la politique du président, il y a des chances pour que vous le trouviez beau ou spirituel. Et si vous n'aimez pas sa politique, il y a des chances pour que vous l'affubliez de défauts que vous n'avez peut être jamais observés. Les qualités (positives ou négatives) associées à quelqu'un ou quelque chose ont tendance à faire "tâche d'huile" sur les éléments qui l'entourent.Il en est de même pour les marques, c'est pourquoi Opel a conçu la publicité évoquant la "Deutsche Technologie". Bien qu'aucune étude ne démontre qu'Opel est une marque plus fiable qu'une marque française, il a suffi aux publicitaires d'évoquer le fait qu'Opel est une marque allemande pour la faire bénéficier du "halo" de marques plus prestigieuses comme BMW ou Mercedez.
C'est la raison pour laquelle les publicitaires sponsorisent les champions : le halo de la victoire se propage sur la marque.
A propos de rémanence, un sondage européen de 2005 à propos de la science a montré que 29% des européens pensent que le soleil tourne autour de la terre.
En dehors du fait que l'éducation scientifique a encore de la marge pour s'imposer face aux croyances de toutes sortes, certaines erreurs sont simplement le fruit rémanent d'un biais de notre perception.
Ainsi, nous répondrions plus rapidement et plus justement (par oui/non) à l'affirmation:
- La lune tourne autour de la terre
Qu'à l'affirmation:
- La terre tourne autour du soleil.
En effet, nos sens expérimentent chaque jour le lever de soleil, la course du soleil dans le ciel et le coucher du soleil. Il faut donc que notre raison vienne corriger notre perception que le soleil ne tourne pas autour de la terre mais que c'est plutôt la terre qui tourne sur elle-même et autour du soleil.
Lors d'une expérimentation auprès de 56 professeurs des sciences de la vie et de la terre au lycée et au collège, Gérald Bronner déclare "Il s'en est trouvé un sur deux pour évoquer des thèses finalistes et les juger crédibles" (5)
En dehors du fait que ça fait peur pour l'éducation de nos enfants, si la théorie de l'évolution peine à s'imposer, même chez des professionnels, c'est parce qu'elle est tout à fait contre-intuitive et qu'il faut faire un effort conscient pour combattre nos habitudes cognitives et rééduquer notre cerveau. En effet, il nous est plus simple de penser en termes finalistes:
- Les girafes ont un long cou pour pouvoir manger les feuilles des arbres"
Plutôt que:
- Les girafes ont un long cou car il se trouve que par le hasard des recombinaisons génétiques, celles qui avaient le gêne du long cou ont eu un avantage évolutif qui, sur des centaines de génération, leur a permis de se reproduire plus que les autres et ainsi, il se trouve qu'au terme de centaines de générations, il ne reste que des girafes à long cou.
Pourquoi des professeurs de sciences, qui connaissent pourtant la théorie de l'évolution, se font-ils piéger lorsqu'il s'agit de questions pratiques?
C'est parce que nous sommes victimes de l'attraction de nos connaissances intuitives du monde. Lorsqu'une idée s'impose dans notre cerveau, il est plus difficile de l'en déloger. (7)
Nos idées sont collantes, remettre en cause notre vision du monde demande de l'énergie et un effort de conscience volontaire, c'est pourquoi il est si facile de succomber aux certitudes rapides et aux idées préconçues.
Force est de constater que nous ne sommes pas naturellement ouverts d'esprit.
(2) Le hasard sauvage - Nassim Nicholas Taleb (68)
(3) Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens - Jean-Léon Beauvois et Robert Vincent Joules
(4) Système 1/Système 2 - Daniel Kahneman (415)
(5) La démocratie des crédules - Gerald Bronner
(6) Voir aussi ce très bon blog.
(7) Note: la compréhension de la théorie de l'évolution se heurte à un autre biais cognitif connu appelé "la négligence de la taille de l'échantillon".
Juste un truc à propos d'Obama et de la crise. Tu as tout à fait raison de montrer par quel biais psychologique, ceux qui en étaient responsables ne pouvaient réformer le système. Mais, au risque de surprendre, je suis convaincu qu'il faut y ajouter des raisons d'économie politique. Dans "La grande dévalorisation", Norbert Trenkle et Ernst Lohoff montrent que du point de vue capitaliste (i.e. du point de vue d'un système où la richesse est constitué uniquement par la valeur et qui repose sur un accroissement infini de celle-ci), la seule décision possible était de renflouer les banques, sinon le capitalisme n'aurait pu survivre. À moins qu'Obama soit anticapitaliste, il n'aurait pu mener une autre politique, quand bien même il aurait remplacé les responsables.
RépondreSupprimerSinon ce très intéressant billet m'a beaucoup fait penser à Spinoza (Éthique 2, 35, scolie) :
« Dans le Scolie de la Proposition 17 de cette Partie, j'ai expliqué pourquoi l'erreur consiste en une privation de connaissance mais je donnerai une explication encore meilleure par un exemple. Les hommes se trompent quand ils se croient libres; car cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent. Leur idée de la liberté consiste donc en ceci qu'ils ne connaissent aucune cause à leur action. Ils disent certes que les actions humaines dépendent de la volonté, mais ce sont là des mots et ils n'ont aucune idée qui leur corresponde. Ce qu'est en effet la volonté, et comment elle meut le Corps, tous l'ignorent; ceux qui prétendent le savoir et inventent un siège et un habitacle de l'âme provoquent ordinairement le rire ou le dégoût. De même, quand nous regardons le Soleil, nous l'imaginons distant d'environ 200 pieds; l'erreur ici ne consiste pas en cette seule image, mais en cela que, tandis que nous imaginons, nous ignorons et la vraie distance et la cause de cette imagination. Bien que, en effet, nous sachions ensuite que le Soleil est distant de plus de 600 fois le diamètre de la Terre, nous ne l'imaginons pas moins tout proche de nous; c'est que nous n'imaginons pas le Soleil si proche parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu'une affection de notre Corps enveloppe l'essence du Soleil en tant que le Corps lui-même est affecté par celui-ci. »
Et comme le hasard est facétieux, je suis en train (en fait, depuis plus de 2 mois déjà) d'écrire un billet qui parle de "mirage"... :)
@Gibus : je ne comprends pas non plus quand tu dis "uniquement la valeur". J'imagine que tu parles de valeur MONETAIRE. Il faut quand même bien voir que les banques datent d'avant l'époque capitaliste (disons pré et proto-capitaliste). Ensuite renflouer les banques peut se faire de différentes manières. Laxiste (en épargnant les actionnaires et CEO) ou dure. La méthode US a été plus dure que la méthode frenchy (on voit des banques US se prendre des prunes à 10 chiffres). Après, qu'il eut fallu cela pour sauver le système capitaliste, certes. On peut imaginer (vouloir) une transition vers un autre (lequel ?) système mais dans le cas précis, un effondrement aurait été violent et chaotique !!
Supprimer"Les hommes se trompent quand ils se croient libres; car cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent." ==> c'est un peu le fondement de la socio en fait ....
@Gibus: sur le capitalisme, mon intuition me dit que tu lis rarement le Figaro ;)
RépondreSupprimerJe ne vois pas ce que tu veux dire par "un système où la richesse est constitué uniquement par la valeur"? C'est une tautologie, non?
La valeur de quoi? S'agit-il de valeur monétaire? matérielle? virtuelle? humaine?
Le passage de Spinoza que tu cites a l'air intéressant, tu m'as donné envie de lire le livre. Concernant l'erreur, la sensation de liberté, la privation de connaissance, la volonté consciente, il y a beaucoup à dire, et je prépare d'autres articles qui traitent de ces sujets dans nos environnements de travail.
Merci pour ton commentaire.
"Mais la plupart des économistes ne lisent que des livres d'économie et considèrent la psychologie comme une science molle." ==> ne pas oublier l'économie comportementale pour lequel Kahneman a eu le prix Nobel ;)
RépondreSupprimer"Lors de la crise de 2009, le président Obama n'a pas osé changer certains des responsables de la crise, croyant qu'ils sauraient la gérer mieux que d'autres qui avaient moins de connaissances du système et des problèmes qui avaient conduit à la crise. " ==> Oui et non. On a beaucoup reproché aux américains (pas forcément à tort) d'avoir conduit l'Irak au chaos en "de-Baassisant" le pays pour ne pas retomber dans les travers de la dictature. Or, cela a conduit à écarter les élites et plonger le pays dans le chaos. Le choix inverse avait été fait en Allemagne après 45 où on a épargné de nombreux nazis pour permettre la reconstruction du pays ...
Je n'oublie pas l'économie comportementale (au contraire), mais comme le dit Kahneman lui-même, elle dérange les économistes "main stream" car elle complexifie les modèles et théories économiques "classiques".
RépondreSupprimerEn réalité, en ouvrant le domaine de l'économie comportementale, je pense que Kahneman pose une question plus dérangeante: qu'est-ce qu'une économie "non comportementale"?
L'économie classique ("non comportementale") a-t-elle un sens? A-t-elle produit le moindre résultat tangible? Ou est-elle le simple support théorique de croyances pseudo-rationnelles?
La question est bonne ;)
SupprimerJ'ai tendance à considérer une bonne partie de l'édifice classique comme bâti sur du sable mais il y a quand même des considérations macro-économiques "générales", des grands équilibres (inflation, chômage, ....) qui, à défaut de prédire ou de décrire précisément, donnent quelques indications.
Dans son ouvrage "Le triomphe de la cupidité", publié après la crise, Joseph Stieglitz (économiste "classique" qui a remis en cause la théorie "classique" de "la main invisible du marché") avait préconisé une réponse alternative au renflouement des banques:
RépondreSupprimerRe-échelonner (et renégocier) les dettes des particuliers pour leur permettre de payer à plus long terme, obligeant ainsi les banques à se montrer coopératives avec les particuliers (plutôt qu'arrogantes) et créant ainsi les conditions d'une relance à long terme basée sur la coopération.
Il n'a pas été écouté d'Obama qui a préféré suivre les conseils de ceux qui avaient mené au désastre, tenants du dogme alors en vigueur: "Il faut sauver les banques, tant pis pour les particuliers".
Le problème n'est pas qu'économique, il est aussi moral.
Pour l'Irak, le cas est différent: à la base, il s'agit d'une intervention dans un autre pays justifiée par un mensonge.
Ouais enfin Stiglitz est plus classique depuis un bail, on pourrait le mettre à l'Extrême-Gauche sur le spectre US ;) Ceci dit, ce qu'il dit n'est pas mauvais (notamment dans le livre que tu cites). Il n'a pas dit qu'il ne fallait pas sauver les banques, ceci dit !!! Il disait qu'il fallait sauver les banques ET protéger les mortgage.
RépondreSupprimerPour l'Irak, tu bottes en touche. Intervention injustifiée ou pas (plutôt si), le fait est : que fait-on, de façon réaliste, pour reconstruire un système (post-Baas, post-NSDAP, post-Kahdafi) ; on vire tout le monde et on repart à 0 ou on fait des compromis moraux pour une plus grande efficacité ?
En effet, Stieglitz n'a pas dit qu'il ne fallait pas sauver les banques, mais qu'il fallait les sauver en soutenant leurs débiteurs, c'est à dire les familles endettées.
SupprimerPour l'Irak, je ne botte pas en touche, mais je ne suis pas sûr d'avoir compris ta question: Evidemment, on ne peut pas se baser sur l'existence d'un biais cognitif pour décider de chasser quelqu'un qui commet des erreurs.
D'ailleurs, le simple fait d'être conscient de ce genre de biais permet de le désamorcer (d'où mon article :)
Pour l'Irak, je réagis au fait que tu penses qu'l était évident que Obama n'a pas osé changer certains responsables de la crise : "C'était évidemment une erreur, car ce sont ceux qui connaissent le mieux le système qui s'y accrochent le plus et sont le moins prêt à le réformer. ".
RépondreSupprimerPas si évident. En fait, la question c'est l'arbitrage entre :
1/ La morale (faut-il garder des gens qui sont mouillés ?)
2/ L'adhérence (une personne peut-elle changer son système de pensée)
3 L'efficacité (un "nouveau" peut-il reprendre en main l'ancien système)
Or, ces cas sont connus notamment dans l'Allemagne post-nazie ou l'Irak. En Irak, les américains ont virés la plupart des cadres du parti Baas qui tenaient le système. Pourquoi ? question de morale et les américains pensaient qu'ils ne pourraient pas changer leurs méthodes (et notamment la corruption). Du coup, ils ont pris des "nouveaux" et tout le monde leur a dit qu'ils avaient foiré à cause de ça ... les "nouveaux" n'avaient pas l'expérience du système et n'ont pas réussi à le changer (ni même à le maintenir).
Après WWII, l'inverse a été fait en Allemagne. On a conservé des nazis (pas les plus gros) car ils connaissaient le système. Par exemple, qui a-t-on appelé en 1953 quand il fallu reconstruire une armée allemande (la Bundeswher) au sein de l'OTAN face au Pacte de Varsovie ? Erich Von Manstein, feld-marechal de Hitler et commandé à 12 ans de taule pour crimes de guerre en 46 ou 47 ....
Dans le cas de la crise Irakienne, la "morale" américaine était plus que discutable étant donné que l'intervention était basée sur un mensonge, c'est pourquoi je n'ai pas trop compris l'exemple.
RépondreSupprimerCette intervention était basée sur un dogme qui consiste à penser qu'on peut "imposer" la démocratie dans un autre pays.
Or par définition, la démocratie ne s'impose pas.
Mais cette question en soulève une autre (pour laquelle il n'y a pas de réponse toute faite):
Comment peut-on aider une population qui le souhaite à mettre en place une démocratie, malgré la présence d'un dictateur?
Si la majorité de la population souhaite une démocratie, faut-il la laisser "gagner" la démocratie par elle-même (contre le dictateur)?
A quel point est-ce de l'ingérence? A quel moment a-t-on une obligation morale d'intervenir? Comment savoir ce que souhaite la population alors qu'elle ne peut s'exprimer?
Ton exemple sur les nazis est plus parlant (mais aussi plus choquant).
RépondreSupprimerCependant, rien ne prouve qu'il n'aurait pas été possible de redresser l'Allemagne sans conserver des nazis (D'ailleurs la plupart ont quand même été virés et pourchassés pour crimes: je dirais que la tête de l'hydre a quand même été coupée à une hauteur raisonnable)
Pour ce qui est de l'exemple d'Obama et de la crise des subprimes, je pense que dans une économie ouverte (ou l'information circule librement), on sous-estime l'impact économique d'une décision ou la soit-disant "efficacité" (qui reste à prouver) est privilégiée sur la morale:
si je prend le cas de notre cher ami Philippe Varin de PSA qui n'a pas renoncé à sa retraite chapeau (bien qu'il en avait fait la promesse), on ne peut pas mesurer l'impact économique en terme de démotivation des salariés de PSA et la défiance de tous les salariés en général vis à vis des patrons et des directions d'entreprises suite à ce type d'amoralité.
Le prix économique de cette défiance des salariés vis à vis de leur entreprise est énorme.
D'ailleurs, pour faire suite à un commentaire précédent sur le problème de l'économie "non comportementale", j'ajoute que seule une approche "comportementale" (qui intègre la notion de psychologie dans l'économie) permet d'ouvrir les recherches sur l'impact de la confiance dans l'économie (eh oui, nous ne sommes pas des robots :)
RépondreSupprimerPourquoi ne mentionnes-tu pas les principales lois de la Gestalt. Car il est clair que tu parles de ça : La loi de la bonne forme, La loi de continuité, La loi de la proximité, La loi de similitude, La loi de destin commun, La loi de familiarité...
RépondreSupprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_de_la_forme
Parce qu'on ne sait pas ce qu'on ne sait pas...
SupprimerLe Gestalt a connu son heure de gloire à l'époque des pattes d'eph, de la R16 et des tourne-disques. Engouement à mon avis tout à fait exagéré. Et depuis, tombé dans l'oubli (sans doute exagéré aussi). Il y a des choses intéressantes (l'aspect "fractal" de l'isomorphisme). Ce qui me gène, c'est que ce décrit Stéphane (les biais, l'escalade d'engagement) a été expérimenté (OK, ça n'est pas mécaniste, on n'est pas en physique) assez largement. Le Gestalt est plus une philosophie, ce qui n'enlève aucune lettre de noblesse mais est un peu plus gênante pour décrire la réalité ... mais je ne suis pas spécialiste non plus hein ;)
SupprimerJ'avoue que je suis aussi un peu réfractaire à ces catégorisations théoriques (gestaltisme, structuralisme, béhaviorisme et consorts).
SupprimerJe comprend que ça permet d'identifier une tradition philosophique pour aider à y voir plus clair, mais en réalité, tout ça est très théorique et rien n'est plus hermétique. (Il n'y a qu'à consulter la page de wikipedia du structuralisme pour se rendre compte du charabia utilisé).
En psychologie expérimentale, ce qui est amusant, c'est justement... l'expérimentation!
Car c'est ce qui remet en cause les préjugés et les grandes théories.
Il est parfaitement correcte d'affirmer que le soleil tourne autours de la terre, si l'on considère le référentiel terrestre. La terre tourne autours du soleil dans le référentiel héliocentrique (entre autres).
RépondreSupprimerQuant a la théorie de l’évolution, elle n'a jamais été prouvée et ne le sera sans doute jamais. Elle est simplement la théorie la plus plausible a ce jour pour expliquer les caractéristiques des espèces. Il n'a pas non plus été démontré que la théorie finaliste est fausse.
Tout à fait exact, sauf que dans le sondage que le mentionne, je ne pense pas que les répondants pensaient leur réponse dans un référentiel terrestre. Il s'agit plutôt d'un manque de connaissances scientifiques et de la difficulté de répondre à une question dont la réponse est contre-intuitive.
SupprimerMais sur le fond, je suis d'accord avec votre commentaire (voir mes autres articles sur ce blog, par exemple celui-ci: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/06/meme-les-sciences-dures-sont-molles.html)