Nous sommes au mois de juin, c'est bientôt la fin de l'année scolaire et aussi la fin de la saison II de ce blog.
J'espère que la lecture de cette saison vous aura changé un peu.
Voici donc pour finir, trois petites anecdotes amusantes qui illustrent parfaitement les effets papillons de nos illusions cognitives et notre étonnante neuroplasticité.
1. Vive les statistiques !
Dans les médias, à la fin de l'année 2009, on assiste à la polémique médiatique de la vague de suicides chez France Telecom (2). Au cours de l'été 2009, un employé de cette entreprise se suicide en laissant une lettre qui décrit une surcharge de travail. L'émotion est vive, et conduit les médias à s'intéresser au climat social de cette entreprise. Comme elle avait été en cours de restructuration, il était facile de faire le lien (le cerveau est une machine associative).
Quelqu'un fit le décompte du nombre de suicides, et en dénombre 24 sur une période de 19 mois !! L'émotion est alors à son comble et l'emballement médiatique devient incontrôlable : 90% des articles de presse défendent la thèse d'un "management meurtrier".
René Padieu, président de la commission de déontologie de la Société Française de Statistique, présente alors une thèse alternative dans le journal "La Croix": le taux de suicide moyen de la population active (20 - 60 ans) est de 19,7 par an. Chez France Telecom, il est de 24 en 19 mois, soit 15 par an, ce qui est plutôt moins que la moyenne nationale : il n'y a pas de vague de suicide chez France Telecom. La réaction est vive et ne se fait pas attendre: ceux-là même qui ont décompté les 24 morts dénoncent une comptabilité macabre!
Pourtant, s'il est vrai que le management de France Telecom a pu être indigne (d'autres exemples l'attestent), il n'a pas provoqué de "vague de suicide". Ce qui a provoqué une "vague de suicides", c'est l'emballement médiatique : on le voit car à la suite de la "vague" médiatique, alors que la courbe du nombre d'articles sur le sujet "vague de suicide" décroît, le nombre de suicides, lui, augmente, ce qui est connu des spécialistes du suicide sous le nom d'effet Werther.
2. Les américains préfèrent le Coca même s'ils préfèrent le goût du Pepsi
Aux USA, où la publicité comparative est autorisée, la marque Pepsi avait fait une campagne de publicité ou des consommateurs choisis au hasard goûtaient (en blind-test) les 2 types de boissons et concluait que les consommateurs préfèrent le Pepsi au Coca. (3)
Une publicité de Coca-Cola concluait exactement l'inverse, mais l'expérience n'était pas menée en blind-test: les consommateurs testés pouvaient voir le logo de la célèbre marque.
L'une des deux publicités serait-elle mensongère?
Des neuroscientifiques se sont penchés sur le problème et ont conduit l'expérience en laboratoire, sous IRMf: lorsque les cobayes savaient à l'avance qu'ils allaient consommer du Coca, la zone frontale du cerveau, celle impliquée dans des mécanismes cérébraux complexes (mémoire, idées, associations) s'activait davantage que lorsqu'ils buvaient du Pepsi. Or cette zone peut libérer de la dopamine, substance qui active les centres de plaisir. Le fait de savoir qu'on boit du Coca augmente donc notre plaisir à le boire. L'étude conclut que le succès de Coca n'est donc pas dû à ses propriétés chimiques propres, mais aux associations d'idées que la marque a su implanter dans nos cerveaux.
3. La chirurgie lourde peut-elle être un placebo?
La France est le premier consommateur de médicaments psychotropes (antidépresseurs, tranquillisants, anxiolytiques, neuroleptiques, etc.).
"Pourtant, après avoir testé les 6 antidépresseurs les plus vendus, les chercheurs constatèrent que 75% de leurs effets se retrouvèrent dans l'utilisation du placebo." (3)
En 1950, quand un patient se plaignait de douleurs à la poitrine, on lui prescrivait généralement une ligature de l'artère mammaire interne pour augmenter la pression dans les artères péricardo-phréniques et améliorer la circulation dans le myocarde.
Cette opération satisfaisait tout le monde, jusqu'à ce qu'en 1955, Léonard Cobb (cardiologue à Seattle), qui doutait de l'efficacité de l'intervention, décide de pratiquer une fausse intervention chirurgicale sur la moitié de ses patients (Il se contenta de leur inciser la poitrine afin d'obtenir une petite cicatrice). Au final, les douleurs disparurent pendant 3 mois... chez les 2 catégories de patients, avant de revenir... chez les 2 catégories de patients. Et aucun électroencéphalogramme ne détecta aucune différence entre les 2 groupes.
"Il en est de même pour le traitement de la maladie de Parkinson par la chirurgie du cerveau: quand les médecins percèrent des trous dans le crâne de plusieurs patients sans mener la procédure à son terme, les patients de la procédure tronquée ressentirent les mêmes effets que les autres..." (3)
En 1993, JB Moseley, chirurgien orthopédiste, pratiqua une expérience similaire sur 180 patients atteint d'ostéoarthrite. Les patients réellement opérés n'en tirèrent que satisfaction et bien-être, tandis que ceux ayant été simplement incisés... n'en tirèrent que satisfaction et bien être.
Lorsque l'étude parut en 2002, elle fût évidemment très controversée par tous les médecins qui la pratiquaient depuis longtemps: difficile d'admettre que la chirurgie qu'ils avaient pratiquée avec conviction depuis tant d'année était d'ordre neuroplastique...
A bientôt pour la prochaine saison...
"Ce qui ne nous transforme pas ne nous laisse pas de souvenir. (...) Le passé n'est pas mort, parce que nous sommes ce qu'il est devenu". (4)
(1) Les tactiques de Chronos - Etienne Klein
(2) La démocratie des crédules - Gérald Bronner
(3) "C'est (vraiment?) moi qui décide" - Dan Ariely
(4) Sur les épaules de Darwin - Jean-Claude Ameisen
(2) La démocratie des crédules - Gérald Bronner
(3) "C'est (vraiment?) moi qui décide" - Dan Ariely
(4) Sur les épaules de Darwin - Jean-Claude Ameisen
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