dimanche 1 décembre 2013

L'ordre dans le chaos - Le cerveau est-il un système chaotique ?

J'ai parlé dans un précédent article de la capacité de certains oscillateurs à se stabiliser sur une fréquence donnée. (Les horloges suspendues contre un mur, ou la période de révolution des satellites)

C'est une propriété intéressante des systèmes non linéaires: ils tendent à rester stables, à se verrouiller sur certaines fréquences:
Par exemple, si je donne un coup de pied dans une horloge, après quelques battements irréguliers, elle finira par retrouver son oscillation initiale.
Lorsqu'un système linéaire est atteint par un choc, il modifie immédiatement sa trajectoire, tandis qu'un système non linéaire tend à retourner vers un régime stable, celui de son attracteur ou éventuellement à atteindre un nouveau régime d'oscillation.

Mais le verrouillage de fréquence n'est pas suffisant pour expliquer le fonctionnement de la vie, ou celui du cerveau humain. Il faut pouvoir envisager la possibilité d'un verrouillage sur une infinité de fréquences toutes légèrement différentes, c'est à dire un spectre de fonctionnement.
Les structures fractales offrent justement ces propriétés.

Prenons l'exemple des battements cardiaques:
Le rythme cardiaque n'est pas unique et varie en fonction des conditions externes (température externe, pression, etc.) et du régime de fonctionnement interne de l'organisme (température interne, condition de stress, effort réalisé etc.). Le cœur est donc capable d'adopter différentes fréquences de battement en fonction du régime de fonctionnement de l'organisme. Il n'atteint donc jamais un équilibre unique, ni ne se verrouille jamais sur une fréquence unique, ce qui serait un frein à son adaptation, mais il ne bat pas non plus de manière totalement anarchique, ce qui serait un symptôme de fibrillation cardiaque.
"En biologie, quand un équilibre est atteint, c'est la mort." (1)

Prenons maintenant l'exemple du cerveau:
"Si je vous demande si votre cerveau est un système en équilibre, il me suffit de vous dire de ne pas penser aux éléphants: vous saurez immédiatement que votre cerveau n'est pas un système à l'équilibre." (1)

Mais le cerveau est-il pour autant un système chaotique ?
En étudiant les amplitudes des ondes électriques du cerveau, les neurologues ont découvert que:
Le sommeil profond était régi par un attracteur fractal à 5 variables indépendantes, ce qui est la marque du chaos déterministe.
L'épilepsie serait régie par un attracteur fractal à 2 variables indépendantes seulement.

L'état normal de veille ne serait régi par aucun attracteur (régime purement chaotique)

Ainsi donc, le chaos serait la marque du régime de fonctionnement normal du cerveau et de la conscience

Sources:
La théorie du chaos - James Gleick: citation du psychiatre et dynamicien Arnold Mandell (1)
Entre le temps et l'éternité - Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

14 commentaires:

  1. Je suis très réservé sur ces analyses sur le cerveau ... Pourquoi ? "en étudiant les ondes électriques du cerveau". C'est une mesure très partielle et lacunaire qui ne renseigne que très peu sur l'activité du cerveau. Que nous indiquent ces ondes ?
    1/ Si l'on est mort ou pas (activité électrique ou pas)
    2/ La présence d'états dégradés très forts (épilepsie)
    3/ Le passage veille/sommeil et l'état de sommeil (léger, profond, paradoxal)
    "Étonnamment", on se retrouve avec un système chaotique avec 0,2 et 5 variables précisément en fonction de ce que donnent ces variables. On a donc une modélisation chaotique qui repose ... sur les données très partielles données en "input". C'est totalement tautologique.
    La réalité est que le cerveau est un système cybernétique complexe dont :
    - on ne connaît pas vraiment les variables "relevant"
    - celles qu'on pourrait connaître, on ne sait pas les mesurer en temps réel (ou pas les mesurer du tout)
    On pourrait imaginer comme variables l'intensité d'activité d'aires cérébrales (par IRM par exemple) quoi que ça ne serait pas très précis. Ou encore les flux de neurotransmetteurs ... mais on ne sait pas les mesurer (on n'a même pas forcément une liste exhaustive des neurotransmetteurs du cerveau).
    L'idée que la veille serait un état chaotique "pur" me semble intuitivement fausse. Cela voudrait dire qu'il pourrait prendre toutes les configurations possibles. Or, en voit bien que le comportement du cerveau est "limité dans ses configurations" et possède un domaine de cohérence fort (et donc ne peut occuper toutes les configurations possibles). En général :
    - le cerveau tend vers une certaine homéostasie (il est perturbé par le "bruit extérieur" mais tend à revenir vers un état central)
    - la gamme des comportements en réaction à des inputs est limitée
    Evidemment, les maladies mentales peuvent paraître totalement erratiques donc on peut penser à une absence d'attracteur mais ça n'est pas le cas puisque les maladies mentales possèdent leur propre cohérence avec un tableau diagnostic plus ou moins précis mais pas erratique.
    La question pour moi est donc : quelles sont les variables cachées ? ou plutôt les bonnes variables permettant de déterminer les variables du système chaotique à l'état de veille (ou même de généraliser à l'état de veille/sommeil).
    Par exemple, certains dépressions (pas mal en fait) sont dues à un manque de flux de sérotonine dans le cerveau. La variable sérotonine peut donc être reliée à l'humeur et on pourrait imaginer un attracteur à partir de ces variables. Par ailleurs, la dépression accroît le besoin de sommeil et, d'après une étude récente, la privation (partielle de sommeil) améliore (à court terme) la dépression. Encore une relation. On peut imaginer plein de relations comme celles-là qui réduisent le "degré de liberté" du fonctionnement du cerveau. Le tout était alors de trouver l'ensemble des variables "canoniques". Et de pouvoir les mesurer en temps réel. Là, alors, peut-être, on pourra affirmer que le cerveau est un système chaotique à N variables (probablement pas 0).
    On se rendra alors peut-être compte que certains troubles mentaux (dépression, bipolarité) sont dus à des configurations limites au "coin" d'un attracteur étrange, ce qui intuitivement me semble avoir un certain sens.
    Donc si éventuellement, le sommeil profond peut être décrit comme "chaos déterministe" (même si les variables sont très partielles et qu'il y en a peut-être 2 ou 10, 12 ou 15), je crois que la veille est aussi un chaos déterministe dont on ne connaît pas les variables.

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    1. En effet, l'intensité des ondes électromagnétiques du cerveau n'est pas la seule variable à prendre en compte pour "mesurer" l'activité cérébrale. (D'ailleurs, qu'est-ce au juste que l'"activité" cérébrale?)
      Cependant, le principe de la détermination des dimensions fractales d'un système complexe consiste justement à mesurer une série temporelle d'une variable (une seule suffit) et à en déduire la dimension fractale de l'attracteur étrange s'il existe, au moyen de la technique de Grassberger et Procaccia.

      Cette technique permet de distinguer entre le chaos déterministe (régi par un attracteur étrange) et un comportement totalement aléatoire, mais elle n'est en effet pas très fiable lorsque le mécanisme déterministe est vraiment très complexe. (ce qui intuitivement semble le cas du cerveau et qui va dans le sens de ton intuition lorsque tu doutes que les ondes du cerveau soient totalement aléatoires)

      Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il est possible d'identifier un attracteur étrange dans l'activité du cerveau et surtout que plusieurs études sur le sujet montrent que moins la dimension fractale de l'attracteur est élevée et moins le cerveau est "fonctionnel".
      Autrement dit, la pathologie tend à baisser la dimension de l'attracteur fractal tandis que l'état "fonctionnel" serait soit totalement chaotique, soit régie par un attracteur de dimension très élevée... (cette dernière hypothèse me paraît également plus probable que celle du "totalement aléatoire")

      En gros, et contrairement à l'intuition, la pathologie (que ce soit d'ailleurs dans le domaine cardiaque ou cognitif) semble davantage liée à un "trop de régularité" qu'à un "pas assez"...

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    2. pas si contre-intuitif et très intéressant. C'est vrai que je voyais la pathologie comme un passage "aux marges de l'attracteur" mais une réduction de l'attracteur est peut-être beaucoup plus adaptée. Laissons de côté l'épilepsie qui est très particulière, aigüe et temporaire (bien que à répétition). Mais on peut voir effectivement la pathologie comme un réducteur de l'attracteur qui rétrécit l'éventail des réponses comportementales face aux bruits extérieurs. Moins de réponses possibles, moins de "degrés de libertés", donc moins de possibilités de réactions face aux "agressions extérieurs au système" et donc in fine moins de possibilité d'un retour à l'équilibre (comportemental).

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    3. Exactement!
      Les études menées sur le rythme cardiaque vont dans le même sens:
      Chez les jeunes athlètes, l'intervalle entre 2 battements varie et ces irrégularités sont un signe de bon fonctionnement.
      A l'inverse, une trop grande régularité du rythme cardiaque (signe de la réduction des dimensions de l'attracteur étrange) est un signe pathologique car elle est signe d'une réduction de l'éventail des possibilités et donc de la capacité d'adaptation. Fascinant, non ?

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  2. En fait, ce qui me chiffonne, c'est la logique. On a trouvé un attracteur fractal sur 5 variables pour le sommeil profond. On peut en déduire que c'est un système chaotique. On peut trouver un attracteur sur l'espace des phases de ces 5 variables, ce qui veut dire qu'elles ne peuvent pas prendre, l'une relativement aux autres, toutes les valeurs. Certes. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne pourra pas demain trouver un autre attracteur sur le sommeil profond avec 12 autres variables.
    Mais surtout, la contraposée me semble fausse. On n'a pas trouvé d'attracteur avec LES VARIABLES DONT ON DISPOSE sur l'état de veille. A mon sens :
    1/ Ca ne prouve pas que l'état de veille soit chaotique (même si on peut le penser)
    2/ Ca ne prouve pas que l'état de veille soit "chaotique pur", juste qu'on n'a peut-être pas trouvé les variables permettant de le démontrer ...

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    1. La particularité de la théorie du chaos, c'est qu'elle ne cherche justement pas à mesurer toutes les variables qui régissent un système complexe dans ses moindres détails, mais bien quelques variables macroscopiques externes significatives.
      Par exemple, pour le climat, il est impossible de prendre en compte toutes les variables qui peuvent entrer en jeu.
      C'est pourquoi, on travaille simplement sur les quelques variables macroscopique qui caractérisent le climat (température, pression...) et pas sur les détails ou les "variables cachées" (comme la fréquence du battement des ailes de chacun des papillons) qui seraient des variables difficilement mesurable (de même que le flux de chacun des neurotransmetteurs si on les connaissait précisément).

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    2. J'entends bien mais justement ... le fait que l'on a trouvé que le sommeil profond est un système chaotique à partir de 5 variables permet d'affirmer que c'est un système chaotique avec un attracteur particulier. Même si ces ondes ne sont qu'une donnée très "dérivée" de l'activité fonctionnelle du cerveau. Ce qui n'empêchera peut-être pas demain de trouver un autre fonctionnement chaotique du même sommeil profond avec d'autres variables et un autre attracteur.
      A l'inverse, le fait qu'on n'ait PAS trouvé d'attracteur dans l'état de veille , je ne vois pas comment on peut affirmer que c'est un système chaotique pur !! Peut-être simplement n'a-t-on pas trouvé les bonnes variables permettant de définir l'attracteur ?

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    3. Oui, pour l'instant on mesure l'activité du cerveau avec un electro-encéphalogramme: c'est en effet juste l'état de l'art.
      Parce qu'on a constaté que cet indicateur était pertinent dans les situations qu'on connaît actuellement.
      C'est en effet parce qu'on admet l'hypothèse que cet indicateur est pertinent pour la mesure de l'activité du cerveau que le fait qu'on n'ait pas trouvé d'attracteur est significatif.

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    4. Voila et je suis assez convaincu que l'on aura d'autres variables ne serait-ce qu'indirectes via scanner, TEM, IRM et on pourra trouver des attracteurs. Sinon plus avant dans les flux de neurotransmetteurs qui me semblent être une variable-clef

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    5. Dans la même veine que le commentaire précédent, l'electro-encéphalogramme me paraît pertinent et il révèle simplement que la variété des réponses possibles du cerveau (son imprévisibilité) est plus élevée à l'état de veille que lorsqu'on dort ou qu'on est victime d'une pathologie. La pathologie correspondrait à un blocage, c'est à dire une réduction des dimensions de l'attracteur

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    6. Fascinant oui !
      Sur l'EEG, je reste réservé. C'est vraiment de la black box ... c'est imaginer comprendre (même de loin) le fonctionnement d'une usine de fabrication d'alu en se postant à 500m, derrière un mur et en mesurant l'électromagnétisme. Certes, on peut déceler des choses intéressantes (fonction cahotique du sommeil profond) mais guère plus. Et tout cela c'est pas très opérationnel ... on ne peut pas en tirer beaucoup de conclusions. Alors que l'approche peut être opérationnelle avec un "close-up". Le système est tellement complexe que la modélisation via quelques variables (même indirectes) pourrait être précieuse mais il faut quand même "rentrer dans l'enceinte de l'usine" ...

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    7. "Rentrer dans l'enceinte de l'usine", c'est un peu l'approche réductionniste, non ? Je ne pense pas que ça permette de modéliser les comportements émergents... Bien que au niveau de l'étude du cerveau, je concède qu'il y a encore de la marge

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    8. Oui il y a encore sacrément de la marge !!! Il y a beaucoup de travail "réductionniste" sur le cerveau : études des aires machins, étude du fonctionnement synaptique, etc etc Là, ils sont au coeur de l'usine mais ça ne permet pas d'avoir une approche suffisamment holiste. Mais entre les deux, ça serait pas mal je pense. Une démarche holiste un peu plus informée (cad pas seulement avec comme données celles de EEG, technique qui doit avoir 1 siècle) serait pas mal !!!

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  3. J'ajoute que le calcul de la dimension fractale d'un attracteur pour le comportement d'un système (du point de vue purement externe) est similaire au calcul qu'on peut faire de son entropie d'information (voir chapitre 4 de ce blog), c'est à dire qu'il est une mesure de sa prévisibilité...

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