Atlan affirme qu'on peut démontrer que sous certaines conditions dans un système complexe, le bruit-créateur peut surpasser le bruit-destructeur, notamment dans le cas particulier de 2 sous-systèmes avec un changement d'alphabet et augmentation du nombre de lettre, ce qui est le cas lors du passage de l'ADN (alphabet à 4 lettre: ACGT) aux acides aminés (alphabet à 20 lettres).
Dans l'article précédent, on a vu comment Henri Atlan, partant de la théorie de l'information de Shannon, montre qu'un système acquiert des propriétés auto-organisatrices à partir du moment où sa redondance diminue au profit d'une augmentation de complexité lorsqu'il est soumis à des changements aléatoires.
Cette théorie de l'auto-organisation permet d'aborder sous un angle nouveau les problèmes soulevés dans un article précédent (l'objet du scandale) dont la problématique a constitué le fil rouge de tous les articles de ce blog jusqu'à ce jour:
Comment un tel niveau d'ordre (la cellule, l'ADN) a-t-il pu se produire à partir d'un désordre apparent (la soupe primordiale)? Comment expliquer que la croissance et l'évolution des êtres vivants semble aller à rebours de la loi d'entropie? L'ADN était-il le seul code possible?
Grâce à ce principe d'auto-organisation, on commence donc à entrevoir comment sont possibles:
- L'orientation de l'évolution: Pourquoi la vie évolue vers des formes de plus en plus complexes? (On remarque au passage que la notion de "complexité" permet d'éviter tout jugement de valeur concernant le sens positif ou négatif de l'évolution qui a été débattu dans les commentaires de l'objet du scandale)
- L’épigenèse (ou la croissance de l'embryon): une cellule se duplique encore et encore, formant un système tout d'abord très redondant (donc peu complexe), puis certaines cellules se différencient progressivement augmentant ainsi la variété des éléments du système (donc la complexité) et permettant son adaptation face aux aléas (ou plutôt son adaptation sous l'impulsion des aléas...)
- L'apprentissage adaptatif non dirigé: comment un système (comme un être vivant) doit-il être conçu pour apprendre des choses pour lesquelles il n'a pas été programmé. Dans l'apprentissage adaptatif non-dirigé, ce qui doit être appris est radicalement nouveau, l'individu ne peut donc pas avoir été programmé pour y répondre. Ainsi le développement cognitif de l'être humain s'expliquerait par une longue période d'auto-organisation (c'est à dire de désorganisations/réorganisations) pendant laquelle la redondance initiale disparaîtrait au profit d'une plus grande variété créant ainsi de la différenciation entre les individus (Solution au problème de l'évolution différenciée des jumeaux monozygotes). L'individualité culturelle s'ajoutant ainsi à l'individualité héréditaire génétique.
Dans les années 70, les biologistes utilisaient souvent la métaphore du programme génétique (influencés par l'essor de l'informatique): on sait aujourd'hui que cette métaphore est peu adaptée car le programme ADN est un programme spécial, typiquement non déterministe, qui se modifie lui-même sous l'effet de facteurs aléatoires externes (le bruit). A partir du moment où un système sait intégrer le bruit, les erreurs, l'aléatoire et se réorganise en conséquence, ce bruit devient un facteur d'organisation du système, c'est-à-dire une expérience, un événement de son histoire. Ce bruit ne peut donc plus être considéré comme négatif, il devient un facteur de création (positif).
Des principes cybernétiques différents et encore à ce jour relativement inconnus régissent donc le comportement des êtres vivants. La théorie de la complexité par le bruit permet d'imaginer comment un système complexe, fortement interconnecté, pourrait s'adapter (c'est à dire s'auto-organiser) sous l'effet de perturbations aléatoires externes, ce qui constitue déjà un premier modèle explicatif et le point de départ d'un changement de paradigme?
Source:
Le cristal et la fumée - Henri Atlan
Des principes cybernétiques différents et encore à ce jour relativement inconnus régissent donc le comportement des êtres vivants. La théorie de la complexité par le bruit permet d'imaginer comment un système complexe, fortement interconnecté, pourrait s'adapter (c'est à dire s'auto-organiser) sous l'effet de perturbations aléatoires externes, ce qui constitue déjà un premier modèle explicatif et le point de départ d'un changement de paradigme?
Source:
Le cristal et la fumée - Henri Atlan
"Ainsi le développement cognitif de l'être humain s'expliquerait par une longue période d'auto-organisation" ==> je dirai même toute la vie. Ce qui est fascinant, c'est qu'avec un nombre de neurones à peu près donné (on sait maintenant que certains neurones se créent au cours de la vie mais très peu et dans certaines aires), on aboutit à une "configuration" et une "auto-organisation" toujours mouvante et différente. C'est-à-dire que sous la pression des stimuli extérieurs, les connexions neuronales se font et se défont en permanence toute au cours de la vie (avec une plasticité certes décroissante ...)
RépondreSupprimerUne des clefs du développement cognitif humain, qui semble nous différencier par rapport à nos animaux, semble être la taille de la mémoire. Un éléphant possède en moyenne 20 milliards de neurones contre 85 milliards pour l'homme : pas une si grosse différence. Mais l'homme semble posséder des qualités de mémorisation qui lui ont permis d'évoluer vers le langage et donc la sémantique, la transmission etc etc
Après, les mécanismes sont assez mal compris effectivement. On ne sait même pas où est le siège de la mémoire. Ou disons plutôt que la mémoire est présente à plusieurs endroits selon le type de mémoire. On a longtemps pensé que le cortex cérébral, qui est "surdéveloppé" chez nous, marque notre spécificité sur les animaux (qui eux ont de gros "noyaux gros centraux", partie du cerveau "reptilien"). Même pas sur en fait ... ou plutôt ce serait dans l'interaction entre les deux que la spécificité se jouerait (la fameuse "conscience" ?)
La conscience et la mémoire... C'est justement le thème du prochain article qui sera le dernier de la série concernant "Entre le cristal et la fumée", livre d'une inépuisable richesse... A suivre...
SupprimerPour info, le cerveau d'une fourmi ou d'une abeille contiennent moins d'un million de neurones et pourtant on découvre de plus en plus d'"intelligence" et de "mémoire" chez ces insectes sociaux
Concernant notre "spécificité" par rapport aux animaux... tu sais ce que j'en pense et vice-versa (A noter que tu as employé le terme "sur" les animaux, par erreur?).
Darwin (dans "la généalogie de l'homme") dit "qu'il s'agit d'une différence de degré et non de nature".
Jared Diamond (dans "Le troisième chimpanzé") défend la même thèse qu'il n'existe pas de spécificité humaine car l'évolution est un continuum.
Darwin reconnaissait "l'impossibilité de déterminer ce qui se produit à l'intérieur de l'esprit d'un animal".
Franz de Waal, le spécialiste des primates (détenteur du prix "Ig Nobel"), fait remarquer qu'à chaque fois qu'on découvre ou qu'on met en évidence des capacités des animaux qui sont semblables aux nôtres, la réaction des scientifiques qu'on pourrait croire neutre et dépassionnée ne l'est pas du tout... et que les définitions dites "scientifiques" se modifient au fil des découvertes pour en exclure les animaux... (Voir "Sur les épaules de Darwin" - Jean-Claude Ameisen)
Tu connaissais le prix "Ig Nobel" ?
oui notre spécificité "sur" les animaux, c'était un lapsus ;) que je sois damné par Spinoza
Supprimeroui la définition de Darwin me va bien "une différence de degré pas de nature"
et je suis assez d'accord avec Jared Diamond quoique .. le langage articulé (qui ne provient pas que de l'évolution des organes permettant le langage) est quand même un saut qualitatif.
ouais je connais les IgNobel mais en général, c'est pour des recherches débiles ;) (par exemple prix 2013 en psycho, démontre que les gens bourrés croient être plus séduisants ("Beauty is in the eye of the beer holder").
Je vois que de Waal a découvert que les chimpazés peuvent identifier un de leur congénère juste en voyant son cul. Balèze. Me rappelle une émission de TF1 où il fallait reconnaître son partenaire/mari/épouse en le/la tripotant dans le noir ...
aRG! il a dit un gros mot sur mon blog! C'est proscrit! T'as de la chance que je ne modère pas les commentaires.
RépondreSupprimerC'est vrai que quand je suis bourré, je suis irrésistible. Mais là, vu que je suis à jeun, j'ai dû mal à y croire
D'après wikipedia:
"Le prix Ig Nobel (qui peut être prononcé Ignobel, car nommé ainsi par jeu de mots entre « prix Nobel » et l'adjectif « ignoble ») est un prix parodique décerné à des personnes dont les « découvertes » ou les « accomplissements » peuvent apparaître bizarres, drôles ou absurdes. Parfois dépréciatifs et critiques, les prix sont destinés à célébrer l'insolite, honorer l'imagination et stimuler l'intérêt dans les sciences, la médecine, et la technologie."
un gros mot ? cul ? je m'évertue à dire (en vain) à la maison que c'est pas un gros mot !! ça dépend du contexte. Par quoi puis-je remplacer "le cul d'une bouteille" ? ou "au cul du camion" ?
RépondreSupprimerbref .. j'ai lu dans le temps 2 livres d'Edouard Launet, un bon et un mauvais qui étaient des compils de récits d'expérience type Ig Nobel "A gauche au fond du labo" et "pourquoi les hommes ont des tétons ?" (j'ai oublié la réponse).
Moi je dis, il ne fait pas dédaigner ces expériences ...
Regarde, on pouvait imaginer qu'un mec bourré allait brancher des nanas juste par désinhibition due à l'alcool (atteinte du cortex frontal) et qu'il jouait sur l'effet de volume (m'en fout de me prendre des vestes du moment que je pécho). Ce qui d'ailleurs n'est pas exclu (du tout). Mais on tient là une nouvelle piste (en complément de la première). Peut-être pour ça que les magasins de luxe offrent (enfin dans Pretty Woman) du champagne à leurs clientes : elles se trouvent belles et achètent (j'imagine que ça marche AUSSI avec les femmes).
Bref, non c'est intéressant. On peut imaginer que ces expériences forment un bruit dans le bel ensemble harmonique de la recherche scientifique. Et qui dit bruit dit création potentielle de complexité nouvelle, non ?
Et dire qu'il y a plein d'enfants qui lisent ce site et qui risquent de tomber sur des gros mots... :-)
RépondreSupprimerEn tous cas bravo, je voyais pas trop comment tu allais relier le début de ton commentaire avec la théorie de la complexité par le bruit mais tu t'en es bien sorti! chapeau bas!
Moi, j'avais lu dans "La recherche" (Une "institution", comme on dit, avec tout ce que ça charrie de connotations de sérieux, cravates grises en velours sur blouses blanches, poussières sur les labos etc) un article scientifique sur l'élasticité exceptionnelle du sexe masculin... Comme quoi les scientifiques, même les plus sérieux, s'intéressent à toutes sortes de choses. :-)
merci :)
RépondreSupprimermoi récemment un article sur la meilleure façon de faire pipi (pour les hommes) en faisant le moins de bruit et d'éclaboussure possibles ... ce qui est tout à fait inutile puisque tout le plaisir consiste à faire un max de bruit ...
pas retrouvé mais il y a ça qui est proche : "The release of waste products is fundamental to all life. How are fluids released from the body quickly and efficiently? In a combined experimental and theoretical investigation, we elucidate the hydrodynamics of urination across five orders of magnitude in animal mass"
Oui c'est une nouvelle branche de la physique: la mécanique des fluides glacials.
SupprimerPour en revenir sur ton premier commentaire à propos de la mémoire, je suis en train de lire "Le vivant post-génomique ou qu'est-ce que l'auto-organisation" de Henri Atlan et je le conseille vivement à tous ceux qui ont aimé la série d'articles inspiré de "entre le cristal et la fumée", il est excellent.
Il détruit notamment la métaphore de "L'ADN est un programme" au profit d'une nouvelle métaphore "L'ADN est une mémoire", la cellule est le programme... C'est assez bien argumenté, je ferai peut-être des articles lorsque j'aurai digéré tout ça (C'est riche en information les livres de Atlan).