Des organismes vivants très élémentaires, nos cellules par exemple, ont une mémoire "biologique".
Les anticorps sont un autre exemple de processus inconscients auto-organisés avec stockage mémoire. Ce processus est à l'origine des vaccins (ex: nos cellules en "se souvenant" des vaccins "se souviennent" d'une agression précédente et nous permettent de lutter contre la suivante).
Il en est de même de toute réponse immunitaire ou de tout phénomène physique présentant une propriété d'hystérésis.
En tant qu'êtres auto-organisés, nous agissons en permanence de manière inconsciente (comme les animaux, les plantes ou les bactéries) en nous auto-organisant:
Nous respirons de manière inconsciente, notre cœur bat de manière inconsciente, nous luttons contre les bactéries de manière inconsciente, et c'est parfois avec retard que nous prenons conscience d'avoir évité un accident en agissant par réflexe etc.
Mais nous avons également une mémoire consciente (corticale).
C'est ce rappel en mémoire au cours du processus d'auto-organisation qui formerait notre conscience.
C'est quand cette mémoire est "parcourue" par cette partie de nous-même qui s'auto-organise que l'inconscient agissant devient conscient et c'est cette interaction entre la mémoire et l'inconscient qui produit notre sentiment d'autonomie.
Ce rappel en mémoire agit en retour (boucle de feedback) sur le processus auto-organisateur, ce qui nous donne notre sentiment de conscience volontaire.
Nous voulons donc avec une partie de nous-même (la conscience) mais nous agissons avec le tout de nous-même (inconscient agissant) d'où notre sentiment de conscience illusoire.
Il n'est pas étonnant que la sépulture (et donc la conscience de la finitude temporelle) soit le marqueur du processus d'hominisation (c'est à dire du phénomène de conscience). Ainsi, la conscience humaine n'aurait pu se développer qu'à partir du moment où le cerveau a eu suffisamment de capacité de mémoire.
Le langage et l'écriture ont également pu participer à l'essor de l'humanité en permettant une extension externe des capacités de stockage-mémoire (par exemple en stockant dans le cerveau des autres grâce au langage, et dans les livres grâce à l'écriture...)
En psychologie, le désir, c'est l'inconscient, c'est à dire l'interaction de notre corps, de nos cellules, de notre "moi" entier avec notre environnement tandis que la volonté consciente, c'est la mémoire qui rétroagit sur le processus inconscient d'auto-organisation.
La psychologie, c'est le dévoilement de l'inconscient:Une question légitime qu'un psychologue peut se poser face à un patient est "qui parle ?" (Quelle partie de nous?)
Ce modèle de conscience/inconscience est en phase avec une expérience du physiologiste Benjamin Libet en 1983 qui a démontré que la volonté consciente de faire une action (lever le poignet) apparaissait seulement 350 millisecondes après que le cerveau avait pris la décision d'agir. Le protocole de cette expérience est décrit ici.
Cette expérience a été confirmée par d'autres spécialistes de sciences cognitives comme Patrick Haggard et d'autres expériences plus récentes montrent qu'en observant l'activité neuronale avec des électrodes implantées dans le cerveau, on peut prévoir avec une probabilité supérieure au hasard (80%) si un sujet va appuyer sur un bouton à gauche ou à droite et cela près de 700 ms avant qu'il en soit conscient...
On pourrait croire que ces expériences remettent sérieusement en cause la notion de libre arbitre mais cette conclusion serait prématurée.
Premièrement, il semble que la conscience puisse avoir un effet "véto" sur l'impulsion de l'action: En lieu et place d'une "free-will", nous pourrions exercer notre "free-won't".
De plus, l'effet rétroactif de la conscience sur l'inconscient n'est pas pris en compte. Ce phénomène rétroactif permettrait d'ajuster notre fonctionnement inconscient auto-organisateur après coup via une réflexion consciente. La découverte récente des neurones miroirs va également dans ce sens et permet d'envisager une anticipation de nos actions via la réflexion. (dans un miroir qui réfléchit, c'est logique)
Quoiqu'il en soit, cela relativise quand même beaucoup la prééminence absolue de notre volonté consciente sur nos actes inconscients...
- Le cristal et la fumée - Henri Atlan
- Le vivant post-génomique ou l'auto-organisation - Henri Atlan
- Science étonnante
- Le cerveau à tous les niveaux
Le 6 février dernier "Le point" a publié un article complet sur le cerveau: la mémoire, les neurones, la conscience, l'inconscience, ..., des thèmes tout à fait similaires.
RépondreSupprimerAs-tu lu cet article? et t'en es-tu inspiré?
Si non, s'agit-il d'une simple coïncidence? bien étrange, ce serait la 2ème coïncidence, la première que j'avais noté concerne ton épisode sur le big bang qui suit un article du figaro sur le même sujet.
Il pourrait aussi s'agir d'une transmission de pensée? Mais à quel moment? Bien avant la parution des articles. Décision consciente ou inconsciente?
Non, je ne lis ni "Le point" ni "Le figaro" sauf quand je m'ennuie chez le coiffeur et qu'il n'y a rien d'autre :-)
SupprimerMon article était écrit pour l'essentiel depuis bien longtemps (près de 6 mois).
J'ai pris un peu plus de temps avant de publier car je voulais terminer le livre de Henri Atlan "Le vivant post-génomique ou qu'est-ce que l'auto-organisation" qui me semblait intéressant pour ce thème.
J'en ai tiré la référence à l'expérience de Benjamin Libet qui y est mentionnée (au chapitre 8 page 243) après quoi j'en ai trouvé une très bonne description dans les 2 sites mentionnés au bas de l'article.
De manière générale, je cite mes sources au bas des articles, et je ne résume pas d'articles de journaux qui sont déjà eux-mêmes des résumés de livres.
J'ai peur que Google n'ait renseigné la NSA qui a renseigné "Le Point" et "Le Figaro" qui du coup m'ont volé mes articles! :-)
Ou alors, c'est un phénomène intéressant de "synchronicité" telle que décrite par Carl Gustav Jung... :-)
Le prochain article porte sur la mémoire... (mais idem, je jure que je n'ai pas copié "le point")
Désolé je deterre encore un sujet :)
RépondreSupprimerTout ceci est fascinant et donne à réflechir.
J'aimerais comprendre un peu mieux Atlan (que je ne connais absolument pas) : c'est quoi exactement la "conscience volontaire" et "le sentiment d'autonomie" ? Est-ce la possibilité de porter volontairement son attention sur quelque chose ? Le sentiment que nos pensées conscientes contrôlent nos actions ? La possibilité de se créer des représentations mentales sans rapport avec son environnement immédiat ? Ou tout ça à la fois ?
Quid de l' "affichage en mémoire" ?
Je pense que l'on peut défendre la thèse selon laquelle nos pensées conscientes peuvent contrôler nos actions, sans pour autant faire appel à des théories de physique fondamentale sur l'indéterminisme et l'auto-organisation (ou le dualisme des propriétés, mais ce n'est pas évoqué ici).
Il suffit pour cela qu'une pensée comme "je veux cette pommme" soit associée à un groupe de neurones qui mènent effectivement à :
(a) l'action de prendre la pomme
(b) un nouvel état des neurones qui codent "j'ai pris cette pomme", si l'information est mise à disposition de la conscience bien sûr.
C'est à dire qu'il faut que l'expression, dans un formalisme des pensées, des liens de causalité entre nos actions, n'ait pas un pouvoir prédictif beaucoup plus faible que leur expression dans le formalisme des états physico-chimiques des neurones. Si, de cette manière, les pensées sont approximativement aussi causalement efficaces que les neurones, alors il faut remonter jusqu'à notre naissance pour retrouver la cause purement physique de nos actions et clore ainsi la chaîne causale du physique vers le physique. Du presque-libre-arbitre.
Pour permettre une si bonne adéquation entre pensées et neurones qui maintienne une cohérence logique dans la succession de nos pensées (truth-preserving en anglais)*, il faut une extraordinaire plasticité et étanchéité du cerveau, de façon à ce qu'il puisse se restructurer sans casser la cohérence interne du corpus des pensées possibles, dès qu'il adapte sa façon de générer des pensées (par exemple après avoir appris un nouveau mot).
Ça c'était pour le contrôle effectif. Pour ce qui est du sentiment de contrôle, je n'ai pas la réponse. Mais H. Atlan a peut-être la réponse, lui.
* je ne dis pas que le cerveau est rationnel, car chacun peut avoir sa propre logique et ne pas disposer de toutes les informations.
Bonsoir Hadrien, (Je sais, il n'est pas d'usage de dire bonjour ou bonsoir sur les blogs, mais ce blog est anti-conformiste :-))
RépondreSupprimerLa conscience volontaire, c'est effectivement le sentiment que nous avons de contrôler nos actions. Les contrôlons-nous réellement, ou avons nous simplement le sentiment de les contrôler?
Voir par exemple ici:
http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/08/un-fantome-dans-la-machine.html
Notre corps fait tellement de choses inconsciemment: nos poumons respirent, nos anticorps se battent contre les maladies, nous avons même des pensées-réflexes (voir ici: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/07/les-illusions-cognitives.html), si bien qu'on peut se demander si notre conscience ne serait pas épiphénoménale. (point de vue auquel je ne souscris pas)
Vous dites qu'il suffit, pour expliquer la conscience volontaire, que la pensée "je veux cette pomme" soit associé (comment?) à un groupe de neurone qui mènent (comment?) à l'action de prendre la pomme.
Doit-on en déduire que la conscience volontaire est située dans ce groupe de neurone? On voit bien que ça n'est pas si simple.
La théorie de l'auto-organisation décrite par Henri Atlan permet d'envisager un autre modèle où la pensée volontaire pourrait être un phénomène émergent de l'auto-organisation des composants de notre corps (et notamment des neurones, mais pas uniquement).
Cette théorie propose une sorte de révolution copernicienne ou c'est le corps, s'auto-organisant, c'est à dire obéissant à des règles à un niveau inférieur à celui de l'esprit, qui produirait l'esprit (comme un phénomène émergent)
Ce point de vue est également défendu par le psychologue Antonio Damasio (voir ici: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/09/lemotion.html)
Un modèle simple pour expliquer l'émergence est illustré par le jeu de la vie (voir ici: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2013/12/la-fourmi-de-langton.html), où des règles très simples appliquées à un niveau cellulaire font émerger une vie nouvelle, imprévue et imprévisible à un niveau supérieur d'organisation. (des planeurs, des vaisseaux, des puffers, etc.)
Bonjour et merci pour vos réponses ;-)
RépondreSupprimer"Les contrôlons-nous réellement, ou avons nous simplement le sentiment de les contrôler?"
-> Et je rajouterais : on pourrait contrôler nos actions sans en avoir le sentiment, en fonction de la définition que l'on se donne d'une pensée, selon qu'on la considère juste comme un objet qui a la même structure qu'une pensée (par exemple : une phrase), ou quelque chose d'intrinsèquement disponible à la conscience. La seconde définition est difficile car il faut définir l'accès conscient.
Si on choisi la première définition (certes incomplète), alors le caractère épiphénoménal de la conscience revêt moins d'importance qu'il n'y parait car il concerne davantage le retard du sentiment de contrôle que le contrôle en lui même.
Ce que j'essaye de dire est que si dans 99.9% des cas la pensée "je veux une pomme" est toujours suivi de "je prends cette pomme", ou de toute autre action cohérente avec la logique de l'individu qui a ces pensées, peu importe comment les neurones supportent ces pensées, la pensée "je veux une pomme" CAUSE "je prends cette pomme" en première approximation*. Il en est de même pour beaucoup de phénomènes macroscopiques.
Si, par ailleurs, le cerveau a "programmé" lui-même ce lien de causalité selon, entre autres, des pensées antérieures, alors je pense que l'on s'approche encore un peu plus du contrôle effectif.
Je suis familier avec le concept d'émergence. C'est tout à fait compatible avec ce que j'ai écrit plus haut. Mais je trouve qu'il demeure un gap explicatif entre phénomène émergent et conscience. Ça me parait un peu facile en fait : il ne suffit pas de trouver dans la nature des phénomènes émergents pour décréter que la conscience est l'un de ces phénomènes, et il reste à en cerner plus précisément les contours.
* ici j'emploie le verbe "causer" dans un sens faible, d'où un presque-libre-abritre plutôt que du libre-arbitre pur, qui n'existe pas dans un monde purement physique.
"Doit-on en déduire que la conscience volontaire est située dans ce groupe de neurone?"
RépondreSupprimerNon, car il faut aussi le support neuronal du lien de causalité entre la pensée et l'action, ou entre la pensée et une autre pensée.
Quand un ballon de foot va du pied d'un joueur jusqu'au gardien de but, le moteur du mouvement du ballon n'est pas situé dans le ballon. Mais ne poussons pas l'analogie trop loin.
Je laisse à Atlan et Damasio l'explication de la conscience volontaire. Je me contente de faire remarquer que l'on peut expliquer le libre-arbitre de notre corps indépendamment de toute théorie sur comment émerge la conscience :)
@Hadrien (sur le post précédent - bonjour) : oui mais non ! Mais avec "causer" dans un sens faible, "je veux une pomme" lié à "je prends une pomme" n'indique pas un lien de causalité. Ou plutôt si, mais pas son SENS. Corrélation n'est pas causalité (CPNC) et dans ce cas, corrélation n'indique pas le SENS de la causalité. Il semblerait, selon pas mal de travaux, basés sur l'imagerie médicale mais aussi sur les temps de réponses (de l'ordre de 200ms pour les "couches basses" - oops je sombre dans le vocabulaire informatique - ou disons subconsciente ou en tout cas sous la conscience, et plutôt de l'ordre de la seconde pour la conscience) que pour nombre de gestes anodins (je classerai la prise la pomme dans ceux-là), le cerveau soit une fabuleuse machine à illusions. Si je réfléchis longuement avant de faire un acte et que je passe à l'action, OK. Si à l'inverse, on me pousse et je me-réquilibre aussi, on admet que c'est un acte réflexe. Mais il existe un énorme entre deux où nous sommes "persuadés" que nous sommes à l'origine de l'action (ou disons plutôt que notre conscience est au commande, qu'elle est le déclencheur). Or il semble bien que dans de nombreux cas, ce sont des routines neurales préprogrammés (subconscient) qui aient la main et n'informent la conscience qu'en parallèle de l'action. La conscience est plutôt spectatrice mais nous avons l'illusion qu'elle est actrice (ce qui est mieux pour notre équilibre mental et cadre avec notre "rapport au monde"). Ca ne veut pas dire qu'il n'y a pas libre-arbitre, ne serait-ce que parce que les "routines préprogrammées" ne sont pas câblées en dur à la naissance (oopps je recommence) mais acquises par éducation, répétition, influence, ...
RépondreSupprimerBonjour Nicolas,
RépondreSupprimerJe maintiens que dans le cas évoqué ici, qui a la particularité de traiter d'évènements qui s'inscrivent dans une chronologie établie (on n'est pas en train de discuter de relativité restreinte !), je peux utiliser le terme "causalité" sans trop abîmer le sacro-saint CNPC. Je signale au passage que la notion de causalité ne fait pas consensus en philosophie, au point que certains nient la réalité de ce phénomène (voir par exemple les commentateurs de Hume). Or je parle bien de philosophie, ayant écarté dans mes précédents messages la possibilité d'un libre arbitre au sens purement physique.
Pour le reste, je suis d'accord avec vos remarques sur la conscience spectatrice. Je trouve le dernier livre de Stanislas Dehaene assez convaincant sur ce sujet. Mais, d'une part, je ne pense absolument pas que l'on soit à 100% maître de nos actions (1% par jour c'est déjà beaucoup, cumulé sur toute une vie), et d'autre part, même si le cerveau crée en retard une pensée "j'ai pris cette pomme", et si des neurones qui ont formé cette pensée peut découler autre chose de cohérent avec le contenu de la pensée, je ne pense pas que cette pensée perde son pouvoir causal (encore une fois, dans un sens affaiblit de la causalité).
Maintenant, concernant la causalité ascendante/descendante des neurones vers une pensée ou une pensée vers des neurones, qui n'est pas la causalité "horizontale" dont il était question jusqu'à maintenant : il parait clair que sur une petite fenêtre de temps le sens de la causalité va des neurones N vers la formation d'une pensée P, en revanche sur une échelle de temps plus grande où les deux se confondent, la causalité peut apparaître dans l'autre sens dans la mesure où une certaine croyance a pu restructurer le cerveau pour que les neurones N correspondent à la pensée P, dans le sens P vers N.
Bon maintenant qu'on a tout mélangé par ma faute, je crois qu'il va être difficile d'en tirer quelque chose :p
Une petite pensée d'inspiration Wittgensteinienne pour terminer : comprendre quelque chose c'est savoir employer ce quelque chose.
RépondreSupprimerComment utiliser l'émergence pour construire une intelligence artificielle consciente ?
Je me retourne également la question concernant le contrôle de nos actions.
Mes réponses ci-dessous
SupprimerBonsoir Hadrien
RépondreSupprimerJe répond à cette remarque: "il ne suffit pas de trouver dans la nature des phénomènes émergents pour décréter que la conscience est l'un de ces phénomènes".
Tout à fait d'accord. Les modèles d'émergence et d'auto-organisation ne sont que des modèles. Ils sont construits pour démontrer une "possibilité", et notamment une possibilité différente du modèle dualiste corps/esprit (avec généralement prédominance de l'esprit), et contraire à notre intuition.
Pour aller plus loin, dans "Qu'est-ce que l'auto-organisation", Atlan développe un modèle qui précise à quoi pourrait ressembler un système auto-organisé au sens fort, c'est à dire auto-déterminé. (Sans faire appel au vitalisme ou à une puissance supérieure)
Voir ici: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/12/la-sous-determination-des-modeles.html
Dans le même article, j'explique justement pourquoi il y tant de débats (et de possibilités) sur la modélisation d'un système aussi complexe que la cerveau.
Et même sur la modélisation d'un système aussi simple qu'un système à 3 éléments. Voir ici: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2013/11/chapitre-13-le-probleme-trois-corps.html
Désolé de vous répondre par des liens vers d'autres articles mais ça m'évite de ré-écrire l'article dans le commentaire et ça vous permet peut-être de découvrir le blog?
"Comment utiliser l'émergence pour construire une intelligence artificielle consciente?"
RépondreSupprimerCela m'inspire une autre question: "Souhaitons-nous construire une intelligence artificielle consciente?".
L'homme fait tout son possible pour dénier l'existence de l'esprit aux animaux (et parfois même à d'autres hommes) alors que l'état de la connaissance démontre l'existence d'un continuum entre les espèces.
Je travaille dans l'informatique et j'ai eu l'occasion il y a quelques années de concevoir des algorithmes d'apprentissage. Le logiciel apprenant faisait des propositions en fonction de son histoire, de son passé, de son expérience, de ses succès et de ses échecs.
J'ai toujours été surpris de voir les réactions des utilisateurs au système.
Curieusement, ils attendent d'une machine qu'elle soit déterministe. Le fait qu'elle fasse des erreurs au début de son apprentissage les perturbe, et le fait qu'elle soit capable de puiser dans son expérience pour inférer des propositions correctes, mais dont ils ne comprennent pas d'où elles viennent, les sidère...
Si ce niveau de compréhension de la complexité nous était accessible, je pense que l'homme chercherait sûrement (mais c'est une pure spéculation) à fabriquer une intelligence "parfaite", infaillible, c'est à dire conforme à un mode de pensée dualiste, le corps étant relégué au second plan comme périssable et corruptible, sans percevoir la puissance du continuum corps/esprit (voir http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/09/lemotion.html) ni la portée de l'erreur en tant que facteur de création.
Voir: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/01/lauto-organisation.html
On le voit bien avec, par exemple, le mouvement transhumaniste ou encore dans les livres de prospective où des chroniqueurs fantasment sur la possibilité de transférer son esprit dans une machine. Je pense qu'ils sous-estiment le rôle de l'entropie comme facteur de création. En référence, voir la saison 1 de ce blog qui déconstruit l'analogie entre entropie et accroissement du désordre.
En attendant que je lise Atlan et les autres billets, ce qui me gêne avec la conscience volontaire émergente d'Atlan, c'est que l'auto-organisation ne semble pas être uniquement invoquée pour expliquer la structure complexe du cerveau, mais contribue aussi à expliquer la prise de conscience.
RépondreSupprimerPrenons par exemple le jeu de la vie de Conway : on explique l'apparition de vaisseaux, d'oscillateurs et d'autres structures complexes par l'auto-organisation des cellules. Dans cet exemple, les deux niveaux (le niveau simple et le niveau complexe) sont connus : si le jeu de la vie était réel, on pourrait parler d'états de la matière microscopique et macroscopique.
Dans le cas de la conscience volontaire, le niveau complexe de "prise de conscience" n'est pas trivialement équivalent à un état de la matière. L'état de la matière ici, c'est le substrat neuronal du mécanisme de prise de conscience, et pour moi il manque une pièce explicative entre le substrat (aussi complexe soit-il) et la prise de conscience. C'est le rôle de "l'affichage en mémoire d'informations nécessaires au processus inconscient d'auto-organisation" d'après votre billet. Le livre d'Atlan est-il détaillé sur ce sujet ?
Dans son livre "le Code de la conscience", Dehaene décrit le moment de prise de conscience comme un embrasement dans le cerveau, où l'information consciente est redistribuée à toutes les aires cérébrales via des voies rapides, mais il donne très peu de détails sur la formation du sentiment associé à cet embrasement.
Je comprend votre question, mais c'est justement la nature des phénomènes d'émergence: il n'y a pas de lien entre le niveau simple (les cellules du jeu de la vie) et le niveau complexe (les vaisseaux, les puffers etc.).
SupprimerOn ne peut expliquer comment cette "vie" émerge.
On ne peut que le constater.
Pour moi il y a bien un lien entre les deux niveaux : un vaisseau de Conway est composé des cellules de l'automate.
SupprimerSi je reprends la liste de Wikipedia des exemples de phénomènes émergents, on est toujours dans ce cas de figure.
Par exemple, la structure complexe d'une fourmilière est composée de .... fourmis.
On parle souvent de "comportement émergent", ce qui peut sembler abstrait, mais ce genre de comportement est entièrement caractérisable par un changement structurel de la couche "inférieure". Et si ce n'est pas le cas, je serais partisan pour distinguer deux types de comportements émergents.
D'où mon d'interrogation : ok pour expliquer la structure complexe du cerveau par de l'auto-organisation. Ok aussi pour expliquer des habilités avancées grâce à cette structure émergente : par exemple la reconnaissance de visages. Mais je bloque sur la prise de conscience, qui s'exprime quand même difficilement en terme de neurones, quelque soit la façon dont ils sont structurés.
Bonsoir Hadrien,
SupprimerUne fourmilière n'est pas un ensemble de fourmis. C'est un ensemble de fourmis organisées (je dirais même auto-organisées) d'une certaine manière, avec une culture, un lieu d'habitation commun etc.
Un ensemble de fourmis prise aux hasard et placées au même endroit que l'ensemble des fourmis d'une fourmilière, ne constitue pas une fourmilière!
C'est une erreur de catégorie que le philosophe Gilbert Ryle (auteur de "The concept of mind") évoque avec l'exemple d'une personne qui visite une université (la bibliothèque, les salles de classe, le terrain de sport etc.). A la fin, il demande: mais où est l'université?
Je n'ai pas été jusqu'à dire qu'il y avait une identité stricte entre fourmilière et ensemble de fourmis. Je dis simplement qu'une fourmilière est composée de fourmis, mais qu'en revanche la décomposition de la conscience en neurones n'a rien d'aussi évident.
SupprimerEntrons dans les détails : qu'est qu'une fourmilière organisée ? Qu'est-ce qu'une culture dans la fourmilière ? Un myrmécologue ne peut pas se contenter de faire des analogies anthropomorphiques, il doit définir rigoureusement ces termes. Je conjecture qu'il en arrive à la description très concrète d'interactions entre groupes de fourmis. Si cela se confirme, on a bien des comportements émergents (une notion assez abstraite à première vue) qui sont décrits par des structures dynamiques de groupes de fourmis, sans incompatibilité logique entre le niveau dit complexe et le niveau dit basique.
Maintenant transposons ça à l'émergence de la conscience : comment franchit-on le gap explicatif entre une structure émergente de neurones et la conscience ?
Je ne suis pas sceptique quant à la possibilité de trouver une réponse. Je pense toutefois que l'auto-organisation n'a pas toute la réponse et qu'Atlan comble ce manque avec l'idée de l'"affichage en mémoire". Mais, exprimée telle quelle, cette idée me semble assez floue.
Il y a une différence de nature entre la structure émergente (les vaisseaux du jeu de la vie, l'université, la fourmilière) et les éléments qui la composent. Ces structures émergentes n'ont pas de sens pour les éléments qui la composent: elles n'ont de sens que pour un observateur extérieur.
SupprimerJe pense que le type d'explication que vous recherchez se trouve peut-être en partie dans cet article: http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/01/entre-le-cristal-et-la-fumee-henri-atlan.html
Atlan se fonde sur la théorie de l'information (voir http://pvegalnrt.blogspot.fr/2013/11/chapitre-4-lentropie-en-theorie-de.html) pour proposer un modèle explicatif de la conscience.
Pour lui, ce serait le décalage (l'erreur) entre le modèle mémorisé projeté sur la réalité et la réalité elle-même qui serait à l'origine de la conscience. Par exemple, entre l'idée d'un chat et un chat.
Le "rappel en mémoire" de l'idée d'un chat au niveau neuronal et la vision d'un chat étant forcément imparfait, cela obligerait la structure neuronale à se réadapter en permanence. Ce déséquilibre permanent, cette inadéquation perpétuelle, ces erreurs de "matching", cette nécessité de réconcilier le passé (les chats déjà observés) avec le présent (le chat qu'on a sous les yeux), pourraient être, d'après Atlan, à l'origine de la conscience.
Mais cela ne constitue qu'une hypothèse possible, à prendre avec moultes pincettes: la conscience reste un phénomène encore largement inexpliqué.
Cet autre article concernant le décalage entre la mémoire et la réalité pourrait également être en partie ce que vous semblez recherchez:
http://pvegalnrt.blogspot.fr/2014/02/la-cybernetique-la-memoire.html
Merci, je vais réfléchir aux effets du décalage entre mémoire et réalité.
SupprimerIl faut mieux lire "Entre le cristal et la fumée" ou "Le Vivant post-génomique" ?
Ça ressemble beaucoup à une explication du gain évolutif du rappel en mémoire, mais peu à l'explication de l'impression de conscience.
Dehaene explique à un moment dans son livre que les opérations de la conscience ont une fonction différente de celles réalisées par l'inconscient. Ces dernières sont rapides, précises, probabilistes mais ont l'inconvénient d'être assez figées, tandis que les opérations conscientes (par exemple : additionner mentalement 3243 et 8966) sont lentes et simplificatrices mais ont l'avantage de tenir compte de plusieurs sources d'informations et d'avoir un pouvoir expressif aussi grand qu'une machine de Turing. D'où l'idée que cette "fonctionnalité" apporte un gain au regard de l'évolution de l'espèce humaine. Et il n'y qu'un petit pas à franchir pour identifier cette fonctionnalité à l'impression de conscience, en particulier la partie "regroupement et simplification des connaissances" de cette fonctionnalité.
Que ce soit Atlan ou Dehaene, les deux ont identifié une fonction avancée du cerveau qui est corrélée (a minima temporellement) au sentiment de prise de conscience, mais une des deux explications est soit fausse soit incomplète, malgré leurs points communs, sinon ces deux chercheurs diraient la même chose sur ce sujet,
Je recommande plutôt "Le cristal et la fumée" en première approche. C'est une bonne synthèse et relativement accessible; "Le vivant post-génomique" pour approfondir (plus ardu).
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